Coup de coeur – Documentaire « La sociale »

Avec cet article, j’inaugure une nouvelle catégorie « coup de cœur » sur le blog, coups de cœur qui pourront venir de tous bords, sans restriction aucune 🙂

Mon premier coup de cœur va au documentaire « La Sociale » de Gilles Perret sorti en 2016, qui nous raconte toute l’histoire de la sécurité sociale : le contexte de sa création après guerre par le conseil de la résistance, sa mise en place par les communistes et les syndicats ouvriers, son évolution au fil des mandats politiques au profit du patronat, et son état actuel.

Sur un fond musical très agréable, le documentaire s’articule autour de photos, extraits filmés d’époque, témoignages et analyses de grande qualité faits par :

  • Jolfred Frégonara, 96 ans, militant CGT, chargé de la mise en place des caisses de sécurité sociale en 1946 en Haute-Savoie. Ce qui m’a frappée dans son témoignage c’est l’état d’esprit de tous les jeunes gens de son époque pour changer les choses, ils avaient la niaque !
  • Michel Etievent, historien, biographe d’Ambroise Croizat. Il nous raconte le contexte ouvrier avant la sécurité sociale (fin 19 ème et début 20ème), proche des conditions de vie décrites dans Germinal (donc abominables), et la vie d’Ambroise Croizat qui a été le grand porteur de la création de la sécurité sociale, oublié de l’histoire sûrement du fait de son origine ouvrière.
  • Colette Bec et Frédéric Pierru, sociologues. Une analyse qui m’a frappée, c’est l’impact monumental qu’a eu la sécurité sociale sur la qualité de vie des français : l’âge moyen de fin de vie passe de 45 à 70 ans, le nombre de décès infantiles est divisé par 3.
  • Bernard Friot, économiste.
  • Anne Gervais, médecin en hôpital. Son témoignage m’a bien fait voir le niveau d’absurdité imposé aux hôpitaux à l’heure actuelle par le virus de la finance.

A mon sens, on mesure pleinement l’impact d’une chose lorsque l’on connaît son histoire : je considère ainsi ce documentaire d’utilité publique.

Jusqu’à présent, la sécurité sociale représentait pour moi un acquis social comme un autre, car dénué de son contexte. A présent, je sais que cet acquis a permis aux français de ne plus vivre dans la peur permamente de l’accident ou de la maladie qui les faisait tomber dans la misère, que sa création a été portée par Amboise Croizat, un homme issu du milieu ouvrier qui a voué sa vie à améliorer les conditions de travail et d’existence des français de son époque, conditions dont nous bénéficions aujourd’hui sans en mesurer la chance.

Voici un petit extrait du film, et la vie d’Ambroise Croizat racontée par l’historien Michel Etievent :

Victor Hugo, dans son discours « Détruire la misère » du 9 juillet 1845, nous donner une idée de ce qu’était la vie sans tous les acquis sociaux mis en place après guerre :

Détruire la misère
Discours à l’Assemblée nationale législative
9 juillet 1849

Je ne suis pas, messieurs, de ceux qui croient qu’on peut supprimer la souffrance en ce monde ; la souffrance est une loi divine ; mais je suis de ceux qui pensent et qui affirment qu’on peut détruire la misère.

Remarquez-le bien, messieurs, je ne dis pas diminuer, amoindrir, limiter, circonscrire, je dis détruire. La misère est une maladie du corps social comme la lèpre était une maladie du corps humain ; la misère peut disparaître comme la lèpre a disparu. Détruire la misère ! Oui, cela est possible ! Les législateurs et les gouvernants doivent y songer sans cesse ; car, en pareille matière, tant que le possible n’est pas fait, le devoir n’est pas rempli.

La misère, messieurs, j’aborde ici le vif de la question, voulez-vous savoir jusqu’où elle est, la misère ? Voulez-vous savoir jusqu’où elle peut aller, jusqu’où elle va, je ne dis pas en Irlande, je ne dis pas au Moyen Âge, je dis en France, je dis à Paris, et au temps où nous vivons ? Voulez-vous des faits ?

Mon Dieu, je n’hésite pas à les citer, ces faits. Ils sont tristes, mais nécessaires à révéler ; et tenez, s’il faut dire toute ma pensée, je voudrais qu’il sortît de cette assemblée, et au besoin j’en ferai la proposition formelle, une grande et solennelle enquête sur la situation vraie des classes laborieuses et souffrantes en France. Je voudrais que tous les faits éclatassent au grand jour. Comment veut-on guérir le mal si l’on ne sonde pas les plaies ?

Voici donc ces faits.

Il y a dans Paris, dans ces faubourgs de Paris que le vent de l’émeute soulevait naguère si aisément, il y a des rues, des maisons, des cloaques, où des familles, des familles entières, vivent pêle-mêle, hommes, femmes, jeunes filles, enfants, n’ayant pour lits, n’ayant pour couvertures, j’ai presque dit pour vêtement, que des monceaux infects de chiffons en fermentation, ramassés dans la fange du coin des bornes, espèce de fumier des villes, où des créatures s’enfouissent toutes vivantes pour échapper au froid de l’hiver.

Voilà un fait. En voulez-vous d’autres ? Ces jours-ci, un homme, mon Dieu, un malheureux homme de lettres, car la misère n’épargne pas plus les professions libérales que les professions manuelles, un malheureux homme est mort de faim, mort de faim à la lettre, et l’on a constaté, après sa mort, qu’il n’avait pas mangé depuis six jours.

Voulez-vous quelque chose de plus douloureux encore ? Le mois passé, pendant la recrudescence du choléra, on a trouvé une mère et ses quatre enfants qui cherchaient leur nourriture dans les débris immondes et pestilentiels des charniers de Montfaucon !

Eh bien, messieurs, je dis que ce sont là des choses qui ne doivent pas être ; je dis que la société doit dépenser toute sa force, toute sa sollicitude, toute son intelligence, toute sa volonté, pour que de telles choses ne soient pas ! Je dis que de tels faits, dans un pays civilisé, engagent la conscience de la société tout entière ; que je m’en sens, moi qui parle, complice et solidaire, et que de tels faits ne sont pas seulement des torts envers l’homme, que ce sont des crimes envers Dieu !

Voilà pourquoi je suis pénétré, voilà pourquoi je voudrais pénétrer tous ceux qui m’écoutent de la haute importance de la proposition qui vous est soumise. Ce n’est qu’un premier pas, mais il est décisif. Je voudrais que cette assemblée, majorité et minorité, n’importe, je ne connais pas, moi de majorité et de minorité en de telles questions ; je voudrais que cette assemblée n’eût qu’une seule âme pour marcher à ce grand but, à ce but magnifique, à ce but sublime, l’abolition de la misère !

Et, messieurs, je ne m’adresse pas seulement à votre générosité, je m’adresse à ce qu’il y a de plus sérieux dans le sentiment politique d’une assemblée de législateurs ! Et à ce sujet, un dernier mot : je terminerai par là.

Messieurs, comme je vous le disais tout à l’heure, vous venez avec le concours de la garde nationale, de l’armée et de toute les forces vives du pays, vous venez de raffermir l’État ébranlé encore une fois. Vous n’avez reculé devant aucun péril, vous n’avez hésité devant aucun devoir. Vous avez sauvé la société régulière, le gouvernement légal, les institutions, la paix publique, la civilisation même. Vous avez fait une chose considérable… Eh bien ! Vous n’avez rien fait !

Vous n’avez rien fait, j’insiste sur ce point, tant que l’ordre matériel raffermi n’a point pour base l’ordre moral consolidé ! Vous n’avez rien fait, tant que le peuple souffre ! Vous n’avez rien fait, tant qu’il y a au-dessous de vous une partie du peuple qui désespère ! Vous n’avez rien fait, tant que ceux qui sont dans la force de l’âge et qui travaillent peuvent être sans pain ! Tant que ceux qui sont vieux et ont travaillé peuvent être sans asile ! Tant que l’usure dévore nos campagnes, tant qu’on meurt de faim dans nos villes, tant qu’il n’y a pas des lois fraternelles, des lois évangéliques qui viennent de toutes parts en aide aux pauvres familles honnêtes, aux bons paysans, aux bons ouvriers, aux gens de cœur ! Vous n’avez rien fait, tant que l’esprit de la révolution a pour auxiliaire la souffrance publique ! Vous n’avez rien fait, rien fait, tant que dans cette œuvre de destruction et de ténèbres, qui se continue souterrainement, l’homme méchant a pour collaborateur fatal l’homme malheureux !

(source : https://fr.wikisource.org/wiki/D%C3%A9truire_la_mis%C3%A8re,_Discours_%C3%A0_l%27Assembl%C3%A9e_nationale_l%C3%A9gislative_9_juillet_1849)

6 réflexions sur “Coup de coeur – Documentaire « La sociale »

  1. un grand merci pour ce coup de cœur qui me va droit au cœur car, comme toi, je ne connaissais pas la genèse de la sociale et oui c’est d’utilité publique!

  2. Quelle bonne idée cette nouvelle rubrique !
    Je découvre en lisant ton article un peu plus de ce film documentaire dont j’ai souvent croisée l’affiche sans jamais m’y attarder davantage. Merci Claire de nous partager ce coup de cœur ! Je le regarderai 🙂

    • Moi aussi quand on m’a parlé d’un documentaire sur la sécu, je n’étais pas spécialement emballée, mais j’ai eu un tel coup de coeur que je devais en parler ici. On y découvre une très belle partie de notre histoire 🙂
      Bises Chantall et merci de ta présence 🙂

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